
Danièle Piani par Elisabeth Milleliri
Le polar, d'accord... les chèvres d'abord !Article d'Elisabeth Milleliri publié en novembre 2008 par le mensuel Corsica
Source: http://info.club-corsica.com/cul_110_001.html
Ca la « gonfle » un peu, Danièle Piani, l'étiquette de « bergère et romancière », avec les vieux clichés qu'elle peut véhiculer. Question de regard : « Entre exploitants agricoles, lorsqu'on dit je suis berger, on sait à quelle réalité ça correspond aujourd'hui et ça n'a pas la connotation folklo que certains, de l'extérieur, y mettent. On est n'est plus au XIXe siècle ! J'aurais pu faire n'importe quel autre boulot tout en écrivant. J'aurais parlé d'univers différents, c'est tout. J'écris ce que j'imagine, en transposant une part de mon vécu. J'aime parler de choses que je connais. Ma vie ici, c'est aussi un matériau. » Qui ne doit rien à l'inné. « Je suis native d'Avranches, en Normandie. Mes parents étaient petits fonctionnaires. Mes grands-parents étaient des ruraux, mais la campagne ne m'intéressait absolument pas. J'avais par exemple horreur d'aider ma grand-mère à cueillir les haricots. »
Longtemps fille unique, elle passe le plus clair de ses loisirs à dessiner, laisser vagabonder son imagination. La grande révélation, pour elle, sera de découvrir « qu'en additionnant des lettres on crée un mot, qu'une somme de mots donne une phrase. Et que de phrase en phrase naît une histoire ! Enfant, j'aimais donc lire et écrire de petites fictions que j'illustrais et diffusais à l'école. »
Quelques années plus tard, elle rate « brillamment » son bac. « Hors de question pour moi de le repasser. Je suis donc partie comme jeune fille au pair en Angleterre. » Au terme d'un an mis à profit pour hanter les concerts de rock londoniens, elle prend la direction de Paris où elle enchaîne divers petits boulots.
C'est en faisant des enquêtes de type sondage qu'elle rencontre son mari, originaire de la Cinarca. « La famille de Pascal avait gardé des terres en Corse, des vignes. Le week-end, nous allions à Vincennes suivre des cours sur l'arboriculture et la vigne. Très théoriques à vrai dire. » Mais outre qu'elle s'y fait une grande amie, Prune, cela incite le couple à tenter l'aventure de la viticulture en Corse. « Dès que nous avons eu quelques économies, nous sommes partis. » Pour réaliser que les choses n'étaient pas si simples. Les vignes familiales sont en piètre état. « Nous étions prêts à tout restructurer lorsqu'un vieux berger nous a ouvert les yeux : il faudrait des années avant que cela nous permette de vivre. Il nous a conseillé plutôt de faire les chèvres. Nous n'y connaissions rien. Mais nous avons acheté six bêtes. »
Débuts difficiles, dans une casetta sans électricité. « On s'habillait au Secours catholique, on multipliait les petits jobs à côté. Il y avait alors peu d'appui technique du côté de la chambre d'agriculture. Pascal a fait un stage à Sartène, je suis allée à Marignana apprendre à faire le fromage auprès de deux vieux bergers. Mais lorsqu'on croit avoir tout compris, on réalise rentrée chez soi que ce n'est pas gagné ! Mes premiers fromages étaient calamiteux. » Peu à peu, l'empirisme, « très important », fait son oeuvre. La chambre d'agriculture se structure et avec elle, les jeunes agriculteurs des années soixante-dix. Dix ans après leur démarrage hasardeux, les Piani sont des pros. Ils ne cesseront dès lors de progresser.
Le troupeau - sur lequel veillent désormais Clément, leur fils et leur neveu François, Danielle s'occupant plus particulièrement de la fromagerie - compte à présent 220 bêtes, essentiellement de race locale, soigneusement sélectionnées. Toutes ont un nom, en rapport avec la littérature, le cinéma, les circonstances, l'humeur et l'humour du moment et leur filiation : Béni, fille de Oui-Oui, Claudine, fille de Colette, Marple, fille d'Agatha. Ou Farinelli, le bouc voué à la castration ; quoique jugé peu à même d'améliorer le troupeau, on s'y était attaché. « C'est parfois cruel, l'élevage, on ne peut garder tous les cabris, il faut faire des choix. Mais on s'autorise chaque année un ou deux chouchous qu'on épargne. »
Tout au long de ces années, Danièle a gardé contact avec Prune, à qui elle écrit régulièrement. Et dont l'époux est Jean-Bernard Pouy, romancier, scénariste, créateur de la série policière Le Poulpe et de la maison d'édition Baleine. « Un jour Jean-Bernard m'a contactée, il aimait bien ce que je leur écrivais et m'a proposé d'écrire un petit roman pour sa collection Série Grise. J'ai tout de suite accepté. » Ce sera L'écume des brocci qui connaîtra un bon accueil, du reste mérité. Malgré ce beau début, la frénésie d'écrire pour être publiée à nouveau ne taraude pas pour autant Danièle. « Dans mon boulot, j'ai toute latitude pour gamberger, imaginer des choses que je note, de façon un peu éparse. Il s'est passé environ trois ans avant que j'envisage vraiment un autre roman. En fait, je n'écris réellement qu'entre la fin de l'été, lorsque la maison s'est vidée des enfants et des amis, et le retour d'estive des chèvres. »
Elle a tout de même pris le temps de participer au projet Piccule Fictions, un recueil de nouvelles policières vendu au bénéfice exclusif de l'association Handi 20, sorti début juin. Et tout dernièrement les Éditions Albiana ont publié Plein Sud, son second polar. Ecrit à la main comme le précédent - « c'est mon frère qui tape mes manuscrits, je suis nulle en informatique ! ». À quand le troisième ? « Je ne sais pas s'il y en aura un autre. Même si je suis très heureuse de cette nouvelle parution, ce n'est pas primordial. Ce qui l'est, pour l'heure, c'est que mes chèvres mettent bas. » Quant à réécrire sa vie, elle est formelle : elle n'en changerait pas une ligne : « Si c'était à refaire, je referais le même parcours... Avec les mêmes gens ! »